Neuf mois après le crash qui a fait 160 morts au Venezuela, la justice a établi un scénario «vraisemblable» de la catastrophe qui met les pilotes en cause.
«LE MD 82 de la West Caribbean n'était vraisemblablement pas un avion poubelle.» Neuf mois après l'accident au cours duquel 152 Français de Martinique et huit membres d'équipage colombiens ont perdu la vie au Venezuela, les experts français commencent à en discerner le «scénario vraisemblable». A ce stade, ils n'ont mis en évidence aucun dysfonctionnement mécanique grave de l'appareil. En revanche, selon une source judiciaire à Fort-de-France, ils ont recensé plusieurs erreurs humaines, dont certaines semblent imputables à une divergence d'appréciation, peu avant le crash, entre le commandant de bord et son copilote.
Quasiment achevée, l'analyse des boîtes noires révèle tout d'abord que l'appareil était notablement surchargé, affichant à 31 000 pieds d'altitude une masse de 155 000 livres (environ 77 tonnes) alors que le constructeur préconise de ne pas dépasser 149 000 livres. Par ailleurs, les experts ont acquis la conviction que ce poids excessif était inégalement réparti au risque de déséquilibrer l'avion. En conséquence, l'avion était, selon toute vraisemblance, incapable d'atteindre sans forcer sa puissance son altitude de croisière de 35 000 pieds.
Or, après son décollage de Panama City, le MD 82 a emprunté «l'itinéraire le plus court» vers la Martinique. Ce choix l'a conduit à survoler une région de hautes montagnes de l'Ouest vénézuélien, au-dessus de laquelle il s'est soudain retrouvé dans un violent orage. «A cet instant, raconte un magistrat, les pilotes semblent avoir choisi de poursuivre leur route au lieu de se dérouter pour une zone plus calme.» C'est alors, selon les experts, que l'équipage a progressivement perdu le contrôle de l'appareil.
Le débranchement du pilote automatique
Tandis que l'avion vole à 33 000 pieds, les moteurs commencent à givrer. Aussitôt, le copilote en avertit son commandant de bord qui, contre son avis, refuse d'activer le dégivrage. «L'enregistrement de leur conversation indique que l'inquiétude du subordonné n'a pas été prise au sérieux par son supérieur», indique ce même magistrat. Il est vrai que le copilote, âgé de 21 ans et appelé à bord juste avant le décollage pour pallier la défection d'un collègue plus chevronné, n'avait que 750 heures de vol. Quant au commandant de bord, certes crédité de 5 500 heures, il n'avait effectué qu'un seul trajet à ce poste de responsabilité.
Quatre minutes avant le crash, l'équipage réagit mais déjà le moteur a des ratés, l'avion perd de l'altitude et des alarmes se déclenchent. C'est alors, selon les experts, que les pilotes commettent leur plus grave erreur. Ils débranchent le pilote automatique, pensant enrayer manuellement la chute de l'avion. «C'était la pire des choses à faire, raconte une source proche de l'enquête, car, dans ce type de situation, le correcteur d'assiette est très efficace pour maintenir l'appareil en vol plané.» Au contraire, le MD 82 décroche à cet instant pour entamer une chute verticale qui s'achève au sol quelque cinquante secondes plus tard.
Le 12 mai dernier, experts et magistrats ont reçu à Fort-de-France les familles des victimes pour leur présenter «cet ensemble d'hypothèses préliminaires qui demande à être confirmé par l'analyse des moteurs» – vraisemblablement d'ici à l'anniversaire du crash, le 16 août prochain. Ensuite, la justice pourra décider d'éventuelles mises en examen, comme l'espère le porte-parole de l'Association des victimes de la catastrophe aérienne, André Tisserand. «Nous ne nous contenterons pas de la mise en cause des pilotes, explique-t-il. Les responsabilités de la compagnie et du constructeur doivent être recherchées.»
Cyrille Louis
18 mai 2006
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